Conflit autour du film "Paris, je t'aime" à quelques heures de sa projection cannoise
LE MONDE | 18.05.06 | 16h24 • Mis à jour le 18.05.06 | 16h24
Tout avait bien commencé pour Paris, je t'aime. Choisi par le Festival de Cannes pour ouvrir, jeudi 18 mai, la section Un certain regard, ce film collectif associe une pléiade de réalisateurs de pointure internationale : Olivier Assayas, Gus Van Sant, les frères Coen, Wes Craven, Nobuhiro Suwa, Walter Salles... et des acteurs stars : Fanny Ardant, Nathalie Portman, Juliette Binoche, Gérard Depardieu, Ben Gazzara, William Dafoe...
Soit un projet glamour à souhait : vingt réalisateurs filment une rencontre amoureuse sous forme d'un court métrage de cinq minutes dans un arrondissement de Paris. Ainsi, Olivier Assayas a tourné dans le 3e arrondissement, les frères Coen dans le 1er.
Portée sans relâche depuis six ans par le producteur Emmanuel Benbihy (à qui l'on doit le très beau film de l'Iranien Abolfazl Jalili Abjad), cette utopie métropolitaine aboutit en 2004 sur le bureau de la productrice Claudie Ossard (37o2 le matin et Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain). Séduite, cette dernière s'associe au projet avec sa société Victoires International.
Le film fini est sous-titré "Génération amour". Pourtant ce projet a tourné sinon à la haine, du moins à la rupture entre les deux partenaires. Emmanuel Benbihy reproche notamment à Claudie Ossard d'avoir manoeuvré pour le "mettre sur la touche" et d'avoir "complètement dénaturé le projet initial". M. Benbihy, outre sa fonction d'auteur et de producteur, devait en effet réaliser, avec Frédéric Auburtin, une continuité filmée entre chaque court métrage. Ces transitions, une fois tournées, se sont vues refusées par Mme Ossard, qui aurait, en outre, interdit à son associé l'accès au montage final. S'estimant gravement lésé, M. Benbihy juge que le film est réduit "à l'état d'un film à sketches, au mépris de la conception originale de l'oeuvre telle qu'elle a été présentée aux réalisateurs".
M. Benbihy reproche aussi à sa coproductrice d'avoir écarté, sans le consulter, deux des films de la série, réalisés par les cinéastes Christoffer Boe (15e arrondissement) et Raphaël Nadjari (11e). Ce dernier a "pris acte" de la décision sans vouloir la commenter.
180 000 EUROS D'ASTREINTE
Claudie Ossard ne nie pas les faits mais elle justifie ses décisions. Elle affirme que la continuité a été jugée "ennuyeuse" lors des projections-tests du film et que les deux courts métrages évincés ne correspondaient pas "au cahier des charges de la série". Enfin, en tant que productrice déléguée, elle dispose seule du droit de montage final.
Ces amours tournent donc au vinaigre. Le Paris du film est désormais divisé en dix-huit quartiers au lieu de vingt et les deux partenaires ne s'adressent plus la parole. Surtout, Emmanuel Benbihy, après avoir adressé une lettre officielle aux patrons du Festival, Gilles Jacob et Thierry Frémaux, pour les avertir qu'il dénonce la présente version du film, recourt à la justice. Il demande en référé une saisie de la copie du film pour violation du droit moral.
Le tribunal de grande instance de Paris, mardi 16 mai, a donné raison au plaignant et interdit toute projection publique du film, fixant une astreinte de 180 000 euros en cas de non-respect de cette décision. Un médiateur est nommé pour que les deux parties trouvent une solution.
Dès mercredi 17 mai, en dépit d'une procédure d'appel de la décision de justice déposée puis provisoirement suspendue par Claudie Ossard, les négociations ont commencé à Paris par avocats interposés. Le même jour, à Cannes, a eu lieu la projection de presse du film, lequel devait être présenté officiellement le lendemain, jeudi 18 mai, à 11 heures et à 20 heures.
Autant dire que le temps presse. Rien pourtant, mercredi 17, ne semblait avoir bougé. Les deux parties se seraient tout au plus entendues sur le fait que la version projetée au Festival de Cannes ne devrait pas être considérée comme définitive et qu'une discussion sur un nouveau montage reste ouverte avant la sortie en salles du film, prévue le 21 juin. Selon Emmanuel Benbihy, la négociation aurait achoppé sur le fait de savoir qui doit financer ce remontage. Ce dernier devait même faire intervenir un huissier pour saisir la copie cannoise dès jeudi matin. Telle était la situation à quelques heures de la projection prévue. Sans que nous connaissions l'issue de ce conflit.
Le délégué général de la manifestation, Thierry Frémaux, qui suit l'affaire depuis ses prémices non sans un certain embarras pour les réalisateurs et les acteurs qui se sont déplacés pour l'occasion à Cannes, affirme qu'il mettra "tout en oeuvre jusqu'à la dernière minute pour aboutir à un apaisement", mais que "force restera bien entendu à la loi".
Jacques Mandelbaum
Article paru dans l'édition du 19.05.06
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